Ce sont les bonnes recettes qui permettent de bien vieillir. Les chercheurs spécialisés en nutrition humaine de l’INRA, l’Institut National de la Recherche Agronomique, estiment que l’alimentation, combinée à l’activité physique, joue un rôle-clé pour prévenir les troubles de santé causés par le vieillissement. Leurs travaux ont pour but de comprendre les besoins nutritionnels particuliers des personnes âgées qu’il faut aider à redevenir robuste, à prévenir ou retarder les problèmes physiologiques ou cognitifs, et à qui il faut proposer des aliments plus adaptés. Pour les chercheurs, la nutrition joue un rôle sur pratiquement tous les facteurs de sénescence. Un état des lieux des résultats obtenus a été présenté aux « Carrefours de l’Innovation Agronomique » à Dijon en novembre dernier.

Des aliments moins bien assimilés, alors que le besoin alimentaire s’accroît

Les besoins alimentaires ne diminuent pas avec l’âge, au contraire, car l’organisme assimile moins bien les nutriments. Le vieillissement provoque des changements physiologiques – perte d’appétit, rassasiement précoce, diminution du goût, qui réduisent la capacité à s’alimenter. La dénutrition affecte plus fortement encore les personnes vivant en institution ou hospitalisées : elle toucherait entre 15 et 40% des personnes en institution et entre la moitié et les 2/3 des personnes âgées hospitalisées. « Plus la production de plats est externalisée, et plus le sentiment de dépossession par les résidents âgés est fort ».

Nutrition et activité sont étroitement liées

Une piste d’action immédiate est donnée par les scientifiques aux auxiliaires de vie et aux aidants : des problèmes de nutrition apparaissent chez 46% des personnes vivant à domicile et qui sont aidées pour leur alimentation, et seulement 4 à 16% des personnes qui se débrouillent seules pour leur repas. Aussi, amener la personne aidée à participer à la préparation du repas, autant que faire se peut, améliorera sa nutrition. C’est ce que font, intuitivement et spontanément, bien des auxiliaires de vie qui incitent les personnes qu’elles accompagnent à aller avec elles faire les courses, porter les provisions, éplucher les légumes, mettre la table.

Dans notre corps, un dialogue permanent entre le squelette, les muscles et le tissu adipeux.

Le slogan « manger-bouger » n’est pas vain. La notion de bonne nutrition présente deux facettes : l’alimentation et la mobilité. Pour les chercheurs, ce sont des facteurs facilement accessibles et modifiables pour favoriser le « bien vieillir ». En effet, la conjonction d’une mobilité insuffisante et d’une mauvaise nutrition accélère la déminéralisation du squelette (ostéopénie) et la fonte des muscles, remplacés par de la graisse (sarcopénie). Au contraire, un renforcement de la force musculaire obtenu par un effort physique va accroître la masse et la résistance osseuse. Véronique Coxam, de l’Unité de Nutrition Humaine de l’INRA, explique : « Il existe une véritable interdépendance métabolique et un dialogue permanent aux niveaux cellulaires et moléculaires entre le squelette, le muscle et le tissu adipeux ».

Manger autant sinon plus avec l’âge.

Les personnes âgées qui ont une bonne nutrition consomment plus de produits frais et moins de plats élaborés que les générations plus jeunes. Des facteurs sociaux et géographiques influencent aussi leur consommation : le panier alimentaire est plus varié parmi les catégories aisées. On consomme plus de poisson dans l’ouest, des fruits et légumes dans le sud, des produits laitiers dans l’est et de la charcuterie dans le nord. L’huile d’olive, plus abondamment consommée dans le sud, est riche en polyphénols qui ont un rôle ostéoprotecteur et protègent des dommages oxydatifs qui accélèrent le vieillissement. Ce sont des habitudes prises tout au long de la vie, qui ne changent pas facilement et dont il faut tenir compte.

Les personnes âgées ont des besoins nutritionnels en protéines supérieurs de 20% à ceux d’un adulte. Elles doivent donc manger autant, sinon plus. Pour prévenir la fonte musculaire, leur alimentation doit comprendre de la viande, du poisson, des œufs. Les produits laitiers apportent le calcium évitant la déminéralisation. Les fruits et légumes et les produits de la mer apportent les vitamines et les minéraux pour lutter contre le stress oxydatif. Le poisson, les huiles et le beurre fournissent les acides gras favorisant le maintien des fonctions cognitives.

Le plaisir n’est pas superflu, il est nécessaire.

Bien manger n’est pas qu’une affaire de nutrition, c’est aussi un plaisir. C’est pourquoi on se félicitera que les chercheurs s’intéressent au plaisir. Pour cela, ils ont préparé une centaine de repas expérimentaux qu’ils ont fait tester par les résidents de différentes institutions. 43 % des personnes âgées perçoivent bien les goûts et les odeurs. Une altération de l’odorat apparaît pour 33% d’entre elles, et une altération du goût et des saveurs pour 21%. Pour Claire Sulmont-Rossé, du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, un défi est de proposer des aliments plus appétissants aux séniors. Le simple fait de mettre des condiments à disposition sur la table a augmenté l’appétit des résidents d’un EPHAD. Mettre deux légumes dans l’assiette au lieu d’un seul augmente la consommation de viande de 32%. Un tiers des personnes âgées n’aime pas les produits sucrés ; pour l’instant, la plupart des compléments alimentaires destinés aux séniors sont des produits … sucrés !

Bien vieillir, une recette simple

Une recette de cuisine est simple pour une excellente cuisinière, moins simple pour les autres. De même il est simple d’énoncer que se nourrir d’aliments variés, manger avec plaisir et s’efforcer à une activité physique est la recette du bien vieillir, accessible à tous. Le faire quand on est seul est bien moins simple. Quand ils ont à l’esprit cette recette toute simple, les aidants et les auxiliaires de vie peuvent facilement améliorer le bien-être des personnes âgées.

Les stratégies curatives sont coûteuses et peu efficaces. Au contraire, alimentation et mobilité sont les deux composantes fondant une stratégie efficace et peu coûteuse de prévention du vieillissement, qui peut être mise en œuvre facilement et à leur niveau par l’entourage et les auxiliaires de vie.

Pour en savoir plus sur les travaux des chercheurs, consulter la revue « Innovations Agronomiques », volume 33 de décembre 2013, qui rassemble les articles présentés lors du colloque du 27 novembre 2013 à Dijon. « L’alimentation des seniors et le bien vieillir«

Voir aussi le site du Docteur Monique Ferry, spécialiste de Gériatrie : « Cuisiner c’est la santé, avec plaisir c’est la maintenir »

 

Jean Bourdariat