Si la vieillesse était une option de la vie, serions-nous nombreux à cocher la case ? Et bien il semblerait que oui. C’est en tout cas une tendance qui ressort de l’étude que Oui Care a réalisé auprès des boomers, cette génération née durant le baby-boom d’après guerre et aujourd’hui âgée entre 54 et 74 ans [1].

 

Des boomers bien dans leur âge

Malgré la présence, chez 42% des répondants, de limitations fonctionnelles pour faire ce qu’ils ont envie de faire, ces futurs/jeunes seniors affichent une certaine sérénité vis-à-vis de leur propre avancée en âge.

89 % déclarent bien vivre leur âge

86 % déclarent l’assumer totalement

 

Je préfère être à mon âge qu’à 20 ans !

A l’image de cet homme, retraité malgré lui, mais qui a su redéfinir un cadre de vie pleinement épanouissant, les boomers arrivés au terme de leur vie professionnelle ne sont plus les travailleurs épuisés d’autrefois. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres de la dépendance en France : 75% des bénéficiaires de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) – qui constitue l’indicateur de référence de la perte d’autonomie – sont âgés de 80 ans ou plus [2].

La manière de vivre son âge évolue au regard des nouvelles conditions physiques et sociales d’existence, faisant évoluer par là-même les représentations de l’avancée en âge et de la vieillesse.

Des représentations majoritairement positives du vieillissement ?

Les boomers interrogés dans l’étude appréhendent globalement le vieillissement au travers de caractéristiques positives associées à un afflux de liberté.

Vieillir, c’est :

Avoir le temps de profiter de la vie (91%)

Ne plus avoir de contraintes (87%)

Pouvoir transmettre aux générations futures ce que l’on a appris (87%)

Être libre de faire ce que l’on veut (86%)

 

Si l’on retiendra que ce sont d’abord des représentations positives du vieillissement qui sont très largement partagées par les boomers, cela ne doit pas forcément être rapproché d’un déni du vieillissement organique. Au contraire, 87% des boomers interrogés ont déjà pensé qu’ils pourraient perdre un jour leurs capacités et devenir dépendants, parmi lesquels 40% ont même déclaré y penser souvent 

La notion de vulnérabilité est, par ailleurs, présente dans la perception que les boomers ont du vieillissement, mais dans une moindre proportion (56%). De même, les aspects plus négatifs de “dépendance” et de “solitude” ne sont mis en avant que par un minorité d’entre eux (entre 21% et 30% des boomers).

Il semblerait que les boomers dans leur majorité ne considèrent pas la perte d’autonomie comme un scénario “obligé” du vieillissement. Le côté aléatoire de celui-ci transparaît d’ailleurs nettement dans cette idée partagée par 72% des boomers que vieillir, c’est dépendre de son corps et de comment celui-ci pourra continuer à porter l’homme et la femme que l’on est. Mais finalement, comme l’écrit si bien la philosophe Véronique Le Ru, “la dépendance de l’esprit à l’égard des états du corps est la condition permanente de la vieillesse” [3]. Pour Montaigne, cette expérience de la dépendance vis-à-vis du corps est aussi un enseignement de sagesse [4].

Les boomers sont-ils en train de renverser les codes de la vieillesse ?

Ces résultats s’inscrivent en porte-à-faux avec une vision plus sombre et “déficitaire” de la vieillesse portée notamment par l’approche médicale du vieillissement pathologique. Là où la vieillesse était redoutée car associée au retrait, à la perte et au déclin, elle devient d’abord symbole de liberté et de plaisir.

D’où la question qui s’impose à nous : sommes-nous en train d’assister à un renversement complet de paradigme avec ces nouvelles générations de seniors qui arrivent et qui ont déjà à leur actif plusieurs mutations sociétales ?

Difficile de le dire avec certitude. Il y a certainement des segments importants dans les représentations du vieillir qui sont en train de changer, mais sans pour autant bouleverser en profondeur notre rapport à la vieillesse.

48% des boomers interrogés déclarent avoir peur de vieillir.

Ce temps de la vie reste anxiogène, là ou à l’inverse, pour certaines sociétés comme celle des Meru du mont Kenya, la vieillesse est désirée car correspondant à l’apogée du développement humain.

Mais de quoi ont-ils peur exactement ?

Parmi les principales préoccupations associées au fait de vieillir, les boomers évoquent très largement des facteurs en lien avec la perte d’autonomie (altération des capacités cognitives et physiques, devenir une charge pour ses proches).

Plus encore que la perte d’autonomie, c’est la peur de la perte de contrôle qui semble centrale ici et que l’on retrouve très bien dans les deux préoccupations les plus citées, à savoir “perdre ses capacités mentales” et “être une charge pour les personnes de son entourage”.

Ce n’est d’ailleurs pas anecdotique que la peur de “perdre ses capacités mentales” ressorte plus significativement que celle de “perdre la mémoire” ou “ne plus pouvoir se déplacer”. Au contraire, cela est révélateur de la crainte des boomers de ne plus être en capacité de décider pour soi-même, en pleine conscience de soi.

On est là dans le sens premier du terme “autonomie”. L’autonomie n’est pas l’absence de dépendance. Elle renvoie avant tout à la capacité de jugement permettant de se gouverner soi-même (choisir soi-même ses règles de conduite, l’orientation de ses actes et les risques encourus). L’autonomie a donc à voir avec la capacité à choisir pour soi-même, là où l’indépendance met plutôt l’accent sur la capacité à faire par soi-même et à réaliser des activités sans aide extérieure. La dépendance peut donc tout à fait se vivre dans l’autonomie. Cela devrait même être le pilier central des actions à destination des publics âgés dits fragiles. On notera au passage que les usages actuels préfèrent désormais le terme “perte d’autonomie” à celui de “dépendance” jugé trop négatif.

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Derrière cette peur de perdre la maîtrise de sa vie en raison des pathologies liées au vieillissement, s’entremêlent différentes angoisses. Celle de la perte du “moi” d’abord. Une conscience de l’histoire de soi qui s’effiloche et qui emporte avec elle tous nos efforts d’un “moi” unifié. Comme une impression de demi-mort avec un “moi” qui se dérobe à jamais.

Cette angoisse primaire de la finitude s’accompagne d’une autre forme d’angoisse plus liée à la culture de l’individualité et à l’esprit cartésien qui animent notre société. “La perte de la raison est dramatique” – nous dit Véronique Le Ru – parce qu’elle signifie la perte de la liberté. Elle est même plus catastrophique pour Descartes que la perte de la vie” [3].

Ne plus être maître de ses choix devient l’ultime crainte dans une société régie par l’idéologie de l’autonomie, de la réalisation individuelle et de la volonté basée sur la raison seule. C’est aussi parce que la culture dominante repose sur cette injonction libérale, que ce qui fait le plus peur dans la vieillesse est justement de ne plus pouvoir répondre à cette exigence en n’étant plus maître, et donc responsable de ses choix !

 


[1] Oui Care (2019). Enquête : Nouveaux seniors, nouveaux besoins ? Les grands enseignements de l’enquête Oui Care – Stethos Social Labhttps://ouicare.com/wp-content/uploads/Dossier-de-presse_Enqu%C3%AAte-Oui-Care_Nouveaux-seniors-nouveaux-besoins-1.pdf

[2] Dress (2020). Etudes & Résultats, n°1152, juin 2020.  https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er_1152.pdf

[3] Le Ru, V. (2010). “Les liens entre la pensée et le corps de l’être qui vieillit”. Constructif, 25. http://www.constructif.fr/bibliotheque/2010-2/les-liens-entre-la-pensee-et-le-corps-de-l-etre-qui-vieillit.html?item_id=3024

[4] Gontier, T. (2012). “Montaigne et la vieillesse : une philosophie des âges de la vie”. Encyclopédie de l’Agorahttp://agora.qc.ca/documents/vieillesse–montaigne_et_la_vieillesse__une_philosophie_des_ages_de_la_vie_par_thierry_gontier